• À UNE JEUNE ARABE

     

     


     

    À UNE JEUNE ARABE

    Qui fumait le Narguilé dans un jardin d’Alep

     


     

    Qui ? toi ? me demander l'encens de poésie ?

    Toi, fille d'Orient, née aux vents du désert !

    Fleur des jardins d'Alep, que Bulbul (2) eût choisie

    Pour languir et chanter sur son calice ouvert !


    Rapporte-t-on l'odeur au baume qui l'exhale ?

    Aux rameaux d'oranger rattache-t-on leurs fruits ?

    Va-t-on prêter des feux à l'aube orientale,

    Ou des étoiles d'or au ciel brillant des nuits ?


    Non, plus de vers ici ! Mais si ton regard aime

    Ce que la poésie a de plus enchanté,

    Dans l'eau de ce bassin (3) contemple-toi toi-même ;

    Les vers n'ont point d'image égale à ta beauté !


    Quand le soir, dans le kiosque à l'ogive grillée,

    Qui laisse entrer la lune et la brise des mers,

    Tu t'assieds sur la natte, à Palmyre émaillée

    Où du moka brûlant fument les flots amers ;


    Quand, ta main approchant de tes lèvres mi-closes

    Le tuyau de jasmin vêtu d'or effilé,

    Ta bouche, en aspirant le doux parfum des roses,

    Fait murmurer l'eau tiède au fond du narguilé ;


    Quand le nuage ailé qui flotte et te caresse

    D'odorantes vapeurs commence à t'enivrer ;

    Que les songes lointains d'amour et de jeunesse

    Nagent pour nous dans l'air que tu fais respirer ;


    Quand de l'Arabe errant tu dépeins la cavale

    Soumise au frein d'écume entre tes mains d'enfant,

    Et que de ton regard l'éclair oblique égale

    L'éclair brûlant et doux de son œil triomphant ;


    Quand ton bras, arrondi comme l'anse de l'urne,

    Sur le coude appuyé soutient ton front charmant,

    Et qu'un reflet soudain de la lampe nocturne

    Fait briller ton poignard des feux du diamant ;


    Il n'est rien dans les sons que la langue murmure,

    Rien dans le front rêveur des bardes comme moi,

    Rien dans les doux soupirs d'une âme fraîche et pure,

    Rien d'aussi poétique et d'aussi frais que toi !


    J'ai passé l'âge heureux où la fleur de la vie,

    L'Amour, s'épanouit et parfume le cœur,

    Et l'admiration, dans mon aine ravie,

    N'a plus pour la beauté qu'un rayon sans chaleur.


    De mon cœur attiédi la harpe est seule aimée ;

    Mais combien à seize ans j'aurais donné de vers

    Pour un de ces flocons d'odorante fumée

    Que ta lèvre distraite exhale dans les airs ;


    Ou pour fixer du doigt la forme enchanteresse,

    Qu'une invisible main trace en contour obscur,

    Quand le rayon des nuits, dont le jour te caresse ;

    Jette en la dessinant ton ombre sur le mur !

     

    ALPHONSE DE LAMARTINE.

    Septembre 1832.

    À UNE JEUNE ARABE

     

     

     

    abazakari




     

     


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